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Abram-Village, Î.-P.-É. (Photo de John Sylvester)

Abram-Village, Î.-P.-É. (Photo de John Sylvester)

Cracker Jack et caribous - En faisons-nous assez pour les espèces en péril au Canada?

Caribou des montagnes, propriété Darkwoods, C.-B. (Photo de CNC)

Caribou des montagnes, propriété Darkwoods, C.-B. (Photo de CNC)

Par Dan Kraus, biologiste principal à Conservation de la nature Canada

Même si j’ai perdu ma collection de cartes d’animaux sauvages Cracker Jack dans les années 1980, je me rappelle encore très bien des images qui y étaient imprimées. Ces cartes étaient dans des sachets de plastique transparent et représentaient des images « 3D » d’espèces en péril. Je vois encore les lignes que j’avais tracées au crayon dans le tiroir du haut de mon ancien bureau pour organiser mes cartes. Il y avait un endroit spécial pour les quelques cartes d’espèces en voie de disparition qui se trouvaient dans mon pays.

Je me suis mis à collectionner les cartes Cracker Jack à peu près au même moment où le Canada a entrepris l’identification systématique des espèces les plus en péril. Depuis sa création en 1977, le Comité sur la situation des espèces en péril au Canada (COSEPAC) évalue de manière scientifique la situation des espèces sauvages les plus susceptibles de disparaître du pays.

À la fin des années 1970, la liste des animaux en péril au Canada était encore bien courte. Mes cartes Cracker Jack préférées montraient la marmotte de l’île de Vancouver, le bison des bois, le faucon pèlerin, le putois d’Amérique et la grue blanche. À leur grand mérite, les concepteurs des cartes Cracker Jack ont même inclus certaines espèces moins connues telles que l’esturgeon à museau court et le massasauga, un serpent à sonnettes, ainsi que des espèces qui avaient alors presque disparu du sud du Canada, comme le grizzly et le loup gris. Pour la plupart des espèces, la chasse excessive et la pollution étaient les principales menaces indiquées au dos des cartes.

Putois d'Amérique (Photo du U.S. Fish and Wildlife Service Mountain Prairie)

Putois d'Amérique (Photo du U.S. Fish and Wildlife Service Mountain Prairie)

De plus en plus d’espèces en péril

La liste des espèces sauvages en péril a presque doublé depuis mon arrivée à Conservation de la nature Canada (CNC) en 2002. À l’heure actuelle, 748 espèces ont été jugées en péril au Canada par le COSEPAC. Cette forte augmentation est en partie attribuable à la hausse du nombre d’espèces ayant fait l’objet d’une évaluation.

Le COSEPAC se réunit deux fois par année pour évaluer la situation des espèces en se basant sur des critères comme la taille de l’aire de distribution, le nombre d’individus, les tendances des populations et les changements prévus aux habitats. Le statut des espèces est ensuite attribué en fonction des catégories suivantes : disparue, disparue du pays, en voie de disparition, menacée, préoccupante, données insuffisantes, ou non en péril. Les espèces sont ensuite évaluées de nouveau par Environnement et Changement climatique Canada afin de déterminer leur désignation en vertu de la Loi sur les espèces en péril (LEP). Une fois une espèce désignée en vertu de la LEP, des efforts sont faits pour concevoir un plan pour assurer son rétablissement ou sa gestion.

L’augmentation du nombre d’espèces évaluées et l’amélioration des outils servant à identifier des espèces potentiellement menacées sont certainement responsables de nombreux ajouts à la liste des espèces en péril. Cela dit, il y a aussi de nombreuses espèces qui étaient plus répandues il y a 40 ans et dont les populations ont véritablement décliné. Plusieurs espèces de chauves-souris sont aujourd’hui menacées, car le syndrome du museau blanc a décimé ses populations de l’est de l’Amérique du Nord. Des espèces d’oiseaux autrefois courantes, dont l’hirondelle rustique, le pipit de Sprague et l’engoulevent bois-pourri ont connu un déclin de plus de 70 % depuis mon enfance dans les années 1970. Neuf populations de caribous sont maintenant en péril.

Massasauga (photo de Tim Vickers)

Massasauga (photo de Tim Vickers)

Comment empêcher la liste des espèces en péril de s’allonger?

Je suis inquiet de l’augmentation rapide et constante du nombre d’espèces en péril. Je me demande même parfois si nos efforts de conservation sont suffisants ou si nous manquons à notre devoir envers ces espèces et les prochaines générations de Canadiens. La bonne nouvelle est que les efforts ont augmenté pour octroyer officiellement un statut aux espèces en vertu de la LEP, permettant ainsi l’élaboration de plans de rétablissement et de gestion. Le grand défi à partir de maintenant? Déterminer comment assurer le rétablissement de ces espèces et éviter que d’autres viennent allonger la liste des espèces en péril.
Nous savons que la répartition géographique des espèces les plus menacées au pays n’est pas uniforme. L’habitat de la plupart des espèces en péril se trouve dans le sud du Canada, où la remise en état des habitats et la conservation font concurrence à l’utilisation humaine des terres et étendues d’eau. En concentrant nos efforts à ces endroits critiques, nous pouvons protéger l’habitat de plusieurs espèces rares en même temps.

Ours grizzli (photo de Caroline Henri)

Ours grizzli (photo de Caroline Henri)

Conserver les habitats d’abord

Depuis de nombreuses années, CNC œuvre à la protection d’habitats indispensables à de nombreuses espèces en péril. La plupart sont situés au sein de paysages où dominent les activités humaines et où les prairies, forêts et milieux humides continuent de disparaître. En concentrant nos efforts sur certains des meilleurs vestiges d’habitats et en restaurant les zones avoisinantes, la protection et l’intendance des terres que nous effectuons peuvent réduire les principales menaces auxquelles sont confrontées les espèces en péril et commencer à améliorer de manière importante leurs chances de rétablissement.

Par exemple, la propriété de CNC dans l’alvar du chemin Stone, sur l’île Pelée dans le lac Érié (Ontario), abrite actuellement 19 espèces qui ont été jugées en voie de disparition, menacées ou dont la situation est considérée préoccupante par le COSEPAC. La propriété Sage and Sparrow, dans la région de l’Okanagan-Sud – Similkameen (Colombie-Britannique), en abrite 20 quant à elle. Au Manitoba, les efforts de CNC en matière de protection et de gestion de la prairie à herbes hautes sont partiellement responsables du changement de statut du cypripède blanc, passé d’espèce en voie de disparition à espèce menacée en 2015.

De manière générale, moins de menaces pèsent sur les espèces dont l’habitat se trouve sur des terres protégées. La réduction des menaces se traduit par la diminution du risque de disparition. Avec le temps, le statut de certaines espèces peut devenir moins critique ou, idéalement, elles peuvent être retirées de la liste des espèces en péril.

Outre la réduction des menaces, le rétablissement réel des espèces dépend de l’accroissement de leurs populations, habitats ou aires de distribution. En restaurant les forêts, savanes et milieux humides, nous augmentons la taille des habitats pouvant abriter les espèces en péril, ce qui, pouvons-nous l’espérer, permet d’en accroître les populations. Dans certains cas, nous devons favoriser le rétablissement des populations et l’augmentation des aires de distribution au moyen de la réintroduction de certaines espèces.

CNC a notamment réintroduit la chevêche des terriers (une espèce de chouette) et le bison des prairies à certaines de ses propriétés se trouvant dans leur aire de distribution historique. Augmenter le nombre d’endroits abritant une espèce réduit également son niveau de risque et lance le processus de rétablissement.

Cypripède blanc (Photo de Melissa Grantham)

Cypripède blanc (Photo de Melissa Grantham)

Voir le monde tel qu’il pourrait l’être

Les facteurs qui mettent certaines espèces en péril au Canada sont complexes et ne peuvent pas tous se régler uniquement grâce à la conservation des terres. Des maladies invasives nuisent aux arbres. Les changements climatiques augmentent les risques pour le caribou, le pin à écorce blanche et le pica à collier (un petit mammifère). Le braconnage menace les plantes médicinales et les espèces qui peuvent être vendues comme animaux de compagnie.

Malgré tout cela, nous savons comment assurer le rétablissement d’espèces en péril, même lorsqu’il s’agit d’un défi complexe. Parmi mes cartes d’animaux Cracker Jack se trouvait le balbuzard pêcheur. Cet oiseau a connu un déclin important parce que les pesticides résiduels, tels que le DDT, rendaient la coquille de ses œufs fragiles et que ceux-ci se brisaient lorsque les parents s’installaient sur leur nid. Même s’ils n’ont jamais été désignés en tant qu’espèce en péril, leur nombre avait chuté dramatiquement et, au cours des années 1970, ils étaient devenus rares. On en voit plus souvent aujourd’hui et j’ai même cessé de pointer leurs nids à mon fils, là-haut, dans les tours d’éclairage des terrains de baseball.

La possibilité d’assurer le rétablissement des espèces en péril au Canada peut nous inspirer à envisager le monde tel qu’il pourrait être. Des sites et des habitats qui ont été presque complètement détruits peuvent renaître. Des espèces qui se trouvaient au bord de la disparition peuvent en être ramenées, tout doucement. Le rétablissement de nos espèces végétales et animales les plus à risque est possible mais, pour cela, nous devons en faire davantage.

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