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La connectivité des habitats est essentielle à la santé des populations de poissons au pays

Saumon chinook en période de fraie (Photo de Fish On in the the Yukon)

Saumon chinook en période de fraie (Photo de Fish On in the the Yukon)

Par Dan Kraus, biologiste principal en conservation de CNC

Avant de poursuivre votre lecture, prenez un instant pour imaginer un poisson qui remonte un cours d’eau au fil de sa migration.

Peut-être avez-vous imaginé un saumon remontant une rivière en Colombie-Britannique? Dans cette province, le saumon est devenu le symbole de la migration de tous les poissons, et la raison coule de source. Chaque automne, le retour de millions de saumons rouges, cohos, kétas, chinook et roses aux rivières qui les ont vus naître, pour y frayer et mourir, constitue l’une des migrations les plus spectaculaires du règne animal. La montaison annuelle des saumons présente d’importants bienfaits pour les forêts que traversent ces rivières et les espèces qui y vivent, et joue un rôle de premier plan dans l’économie locale et la culture autochtone.

Mais les saumons de la Colombie-Britannique ne représentent que quelques-unes des dizaines d’espèces de poissons migrateurs du Canada, des espèces qui vont des océans aux lacs et remontent les rivières pour frayer, se nourrir et grandir. Ces espèces ont un autre point en commun : toutes ont vu leurs habitats fragmentés par des barrages ou d’autres obstacles.

J’ai grandi près des Grands Lacs, mais ce n’est que sur le tard que j’ai pris conscience de la diversité, de l’importance et du déclin de la migration des poissons dans ma région. Je pensais que les saumons remontaient les rivières seulement en Colombie-Britannique.

Saumon atlantique (Photo de Hans-Petter Fjeld/Wikimedia Commons)

Saumon atlantique (Photo de Hans-Petter Fjeld/Wikimedia Commons)

La population de saumon atlantique du lac Ontario est l’un des meilleurs exemples des poissons migrateurs des Grands Lacs et du déclin de la migration des poissons. Avant 1800, tellement de saumons de l’Atlantique venaient frayer dans les affluents du lac Ontario qu’on pouvait les attraper à la pelle. La surpêche a eu un impact majeur sur l’espèce, mais le coup de grâce est venu au 19e siècle avec la construction de barrages servant à alimenter les moulins. L’accès aux habitats de frai étant coupé, le destin du saumon atlantique dans le lac Ontario était scellé et c’est en 1898 que le dernier saumon atlantique du lac Ontario a été capturé. Le sort du saumon atlantique dans le lac Ontario n’est qu’un autre exemple qui démontre que la surexploitation et la perte d’habitats sont la recette parfaite pour l’extinction des espèces.

Les barrages : une menace

Aujourd’hui, l’un des principaux obstacles au rétablissement de nombreuses populations de poissons dans les Grands Lacs demeure la connectivité des habitats. La construction de barrages sur les affluents des Grands Lacs a atteint son apogée il y a un peu plus de 150 ans alors que l’énergie hydraulique était la principale source d’énergie, avant de connaître un nouvel essor dans les années 1940 pour contrôler les inondations.

Il y a présentement plus de 250 000 barrages et autres obstacles dans le bassin des Grands Lacs qui sont susceptibles d’entraver la migration des poissons. Certains d’entre eux sont importants puisqu’ils fournissent de l’énergie hydraulique, contrôlent les inondations et peuvent même contribuer à la gestion d’espèces envahissantes, comme la lamproie marine. Par contre, d’autres ne sont que des vestiges du début de l’ère industrielle. Tous ces obstacles font que moins de 20 % des habitats qui se trouvent dans les rivières et les cours d’eau du bassin hydrographique des Grands Lacs y sont effectivement connectés (voir la figure).

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Les barrages ne sont pas seuls obstacles à la migration des poissons. Si vous avez pris votre voiture ou le train aujourd’hui, vous avez probablement traversé plusieurs cours d’eau. Au Canada, il y a des millions d’endroits où les routes et les voies ferrées croisent des cours d’eau. Si la distance à franchir est suffisante, un pont est érigé, mais pour traverser une petite rivière ou un ruisseau, on installe un ponceau (un gros tuyau de métal, de plastique ou de béton) sous la route. Même si ces ponceaux n’ont parfois aucun impact négatif sur le déplacement de l’eau et des poissons, dans bien des cas ils sont installés de sorte que l’eau entre dans le ponceau, puis se jette plus bas de l’autre côté de la route. Ceci crée parfois le joli murmure d’une chute d’eau, mais si vous étiez un poisson remontant le cours d’eau, entrer dans ce ponceau et le traverser serait un problème de taille. À moins de pouvoir sauter, ou que le niveau de l’eau soit plus haut au moment de remonter aux sources, pas moyen d’aller plus loin; la rivière s’arrête ici et votre migration tombe à l’eau!

Ces « ponceaux perchés », comme les appellent les scientifiques, posent de graves problèmes. Une étude effectuée par Conservation de la nature Canada en 2011 sur les côtes de la baie Georgienne a répertorié plus de 600 ouvrages de franchissement de cours d’eau pouvant entraver le passage de poissons vers des habitats de frai. Un seul ponceau mal installé dans ce bassin versant peut retrancher des centaines de kilomètres d’habitats de frai et d’alevinage essentiels à la truite mouchetée, au meunier noir et à une douzaine d’autres espèces.

Ponceau perché (Photo de Wendy North/Wikimedia Commons)

Ponceau perché (Photo de Wendy North/Wikimedia Commons)

Heureusement, il est possible de remédier à la situation. Comme les ponceaux sont souvent installés sur de plus petites routes, ils peuvent être remplacés relativement facilement et à faible coût. Les bénévoles peuvent ici jouer un rôle important. Il est facile de localiser sur une carte les croisements entre les routes et les cours d’eau, mais chaque site doit être visité pour déterminer si le ponceau est perché et s’il représente un obstacle à la migration. Il y a plusieurs exemples dans la région des Grands Lacs où des bénévoles identifient les croisements et déterminent s’ils représentent un obstacle pour les poissons.

La réparation des ponceaux perchés et le retrait des vieux barrages ne sont pas seulement utiles pour les poissons. Avec la fréquence accrue des tempêtes extrêmes en raison des changements climatiques, plusieurs de ces ponceaux ne sont pas adaptés aux nouveaux débits de pointe. Il est donc primordial de s’assurer que les ponceaux sont de taille suffisante pour que nos routes ne soient pas emportées par l’eau.

Les conditions climatiques extrêmes ajoutent de la pression supplémentaire sur nos barrages. Plusieurs d’entre eux ont plus de cent ans, sont en mauvais état et vont éventuellement céder. Le retrait de barrages, l’installation de passages pour les poissons lors de la réfection ou le remplacement de ponceaux trop petits ou perchés sont d’importants travaux à réaliser sur nos infrastructures pour nous adapter aux changements climatiques.

Rétablir la connectivité des habitats

CNC est ses partenaires, comme Truite Illimitée Canada et Cows and Fish en Alberta, travaillent sur des projets à travers le Canada pour restaurer la connectivité des rivières et ruisseaux et permettre le rétablissement des populations de poissons migrateurs. Des efforts pour assurer le retour du saumon atlantique dans le lac Ontario démontrent d’ailleurs un certain succès. Des organismes comme Grand River Conservation Authority travaillent à retirer des barrages qui ne sont plus utiles. Le Canada et les États-Unis répertorient à présent la connectivité des rivières et ruisseaux et utilisent ces données comme un indicateur de la santé des Grands Lacs.

La protection de nos écosystèmes d’eau douce prend aussi une place de plus en plus importante. Au cours des 10 dernières années, avec le soutien de propriétaires privés, d’entreprises, d’instances locales ainsi que le financement du Gouvernement du Canada par l’entremise du Programme de conservation des zones naturelles, CNC a protégé l’habitat de plus de 60 espèces de poissons indigènes, dont des poissons migrateurs en péril, comme l’anguille d’Amérique, le chevalier cuivré, le bar rayé, le saumon rouge et l’esturgeon jaune.    

Dans le cadre de nos projets de restauration à CNC, nous tentons à présent d’améliorer la connectivité pour le méné long , un poisson en voie de disparition en Ontario. Au Canada atlantique, nous développons un Plan pour la protection des eaux douces des provinces maritimes. De plus, de nombreux bénévoles à travers le pays travaillent à la restauration des rivières et des cours d’eau.

Nous devons accélérer notre travail! Les poissons migrateurs jouent un rôle essentiel dans la santé de plusieurs de nos écosystèmes, et ils contribuent à l’économie locale. Toutefois, sensibiliser la population au fait que des migrations de poissons ont lieu presque partout au Canada, incluant les cours d’eau près de chez vous, est sans doute le geste le plus important que nous puissions poser.

Célébrez le saumon de la Colombie-Britannique, mais prenez le temps de découvrir la migration des poissons qui partagent votre paysage aquatique; les migrations qui se produisent encore aujourd’hui, les migrations qui ont disparu et celles que nous pouvons rétablir.

Nous vivons dans un monde où la nature se fragmente de plus en plus. Nous avons besoin de corridors fauniques pour les ours, les lynx et les orignaux, mais aussi pour les ombles à tête plate en Alberta, les meuniers rouges au Manitoba et les bars rayés au Québec. Tout comme nous devons connecter les forêts, les milieux humides et les prairies, la connexion de nos rivières a besoin d’être assurée.

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