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Réflexions sur la migration des monarques

Un des millions de monarques de la Réserve de biosphère du papillon monarque, Michoacán, Mexique (Photo de Alberto Becerra)

Un des millions de monarques de la Réserve de biosphère du papillon monarque, Michoacán, Mexique (Photo de Alberto Becerra)

Par Sofia Becerra, analyste SIG et assistante aux données de conservation par intérim pour CNC, région de l’Ontario

Tout comme la plupart des gens qui vivent sur ce continent diversifié et historiquement complexe, je suis une immigrante dans ce pays.  En fait, tous ceux et celles qui ne sont pas originaires de ce territoire sont d’une certaine façon des immigrants. Lorsque j’étais enfant, ma famille et moi sommes venus au Canada depuis le Mexique. Mon père avait reçu une bourse d’études pour terminer sa maîtrise à l’université de Toronto. Dans l’espoir d’un avenir plus sûr et plus prometteur pour leurs enfants, mes parents avaient sauté sur cette occasion. Ils ont donc laissé derrière eux toute leur vie et leurs proches et, accompagnés de leurs trois jeunes enfants, ils sont venus au Canada. Au cours de ma vie, j’ai eu la chance de visiter le Mexique et d’entretenir un lien avec mes grands-parents, mes tantes, mes oncles et mes cousins et cousines, et ce, malgré le fait que je vive à environ 4 000 kilomètres de mon lieu de naissance.

Au cours de nos premières années de vie au Canada, nous avons parcouru à plusieurs reprises les 4 000 kilomètres de route qui nous séparaient du Mexique pour voir la famille durant les vacances d’hiver. C’était en partie parce qu’il était plus abordable pour une jeune famille de faire le trajet en voiture plutôt que de prendre l’avion, mais aussi à cause du sens aigu de l’aventure de mon père.

En grandissant au Canada, je me suis souvent demandé à quel point ma vie aurait été différente si mes parents n’avaient jamais pris la décision de déménager dans un pays si différent de celui où nous sommes nés. Aurais-je développé une aussi grande passion pour la nature et l’aventure? Est-ce que mon lien au territoire où je suis née aurait été plus fort? J’ai maintenant accepté le fait que je n’aurai peut-être jamais la réponse à certaines de ces questions.

Image spectaculaire de monarques qui

Image spectaculaire de monarques qui "envahissent" les pins oyamel (Photo de Alberto Becerra)

L’hiver dernier, lors de ma plus récente visite au Mexique, j’ai encouragé mes proches à m’accompagner à la réserve de biosphère du papillon monarque dans la région du Michoacán. Tout comme moi, les monarques possèdent plus d’un foyer. Ils migrent sur plus de 4 000 kilomètres à travers le continent nord-américain, depuis le Canada et les États-Unis jusqu’à leurs sites d’hivernage dans les montagnes du centre du Mexique.  Ils se rassemblent par millions dans des sapins oyamel. Il est difficile de s’imaginer une telle scène ou de croire à ce phénomène avant de l’avoir vu et entendu par soi-même. Les arbres sont complètement couverts et les branches sont chargées de millions de monarques ayant effectué un long périple. Alors que le soleil frappait les branches sur lesquelles les monarques se reposaient, j’étais en mesure d’entendre le son de leurs mouvements. À ce moment, tous les autres touristes se sont tus, principalement parce que nous avions reçu la directive de ne pas déranger les monarques, mais aussi parce que nous étions émerveillés par cet exceptionnel spectacle naturel.

Protéger les monarques en sol canadien

Mon jardin pour pollinisateurs (Photo de Sofia Becerra de CNC)

Mon jardin pour pollinisateurs (Photo de Sofia Becerra de CNC)

Je suis rentrée « chez moi », au Canada, avec la motivation de poursuivre mon travail dans le domaine de la conservation, où mon rôle d’analyste SIG et assistante aux données de conservation contribue à protéger l’habitat de nombreuses espèces en péril. Je me sentais plus que jamais liée à cette migration, mais je ressentais aussi une profonde tristesse en apprenant par les guides locaux que le nombre de monarques revenant au pays diminue chaque année. L’une des plus grandes menaces pour cette espèce au Canada, aux États-Unis et au Mexique est la perte d’habitat. Les monarques dépendent de l’asclépiade qui est la seule plante dont se nourrissent les chenilles de cette espèce. Dans le sud de l’Ontario, la réalité est que, hormis quelques parcelles de terre protégées et divers parcs, une grande partie des terres a été transformée en zones agricoles, en milieux urbains avec leurs interminables pelouses tondues, et autres aménagements. En conséquence, l’espace réservé à l’épanouissement de la nature est restreint et les asclépiades ne peuvent pas pousser librement. 

Tôt ce printemps, alors que les monarques étaient encore dans mes pensées, j’ai décidé que la meilleure chose que je pouvais faire localement était de créer davantage d’habitats pour les générations de monarques en provenance du Sud. J’ai donc convaincu ma propriétaire qu’un espace dégagé de ma cour, qui était autrefois une entrée, serait propice à la création d’un jardin pour les pollinisateurs indigènes.

Ressources pour la création de votre jardin indigène :

  • CanPlant (en anglais seulement)
  • Pollipatches (en anglais seulement)
  • iNaturalist
  • De magnifiques plantes non envahissantes pour votre jardin (sud de l’Ontario)
  • Un jardin indigène… pourquoi pas!
  • Bibliothèque de semences

J’ai fait des recherches, parlé à des ami(e)s bien informé(e)s et j’ai élaboré un plan pour naturaliser cette zone, en tenant compte des sols sableux et rocheux de l’ancienne entrée. Comme les ressources disponibles sur Internet et les groupes en ligne sont innombrables, je me suis lancée dans l’aventure! J’ai également contacté des pépinières locales, je me suis inscrite à des programmes gratuits consacrés aux plantes pollinisatrices indigènes, j’ai contacté la bibliothèque de semences et les clubs d’horticulture de ma région et j’ai acheté des plantes indigènes dans des épiceries locales. Pendant cette pandémie mondiale, j’ai réussi à planter plus de 20 espèces différentes de plantes indigènes dans cette parcelle de mon jardin, tout en pratiquant la distanciation physique.

Chenille de monarque suspendue à mon plant d'asclépiade (Photo de Sofia Becerra de CNC)

Chenille de monarque suspendue à mon plant d'asclépiade (Photo de Sofia Becerra de CNC)

Depuis la mi-juillet, mes efforts ont été récompensés par la présence de plusieurs monarques venus pondre leurs œufs sur mon asclépiade commune, mon asclépiade incarnate et mon asclépiade tubéreuse. Depuis, j’ai trouvé au moins six chenilles de monarque en train de se nourrir de délicieuses feuilles d’asclépiades (pour elles du moins!). Ces dernières semaines, j’ai eu le bonheur de les regarder grandir, petit à petit, chaque jour.

Monarde fistuleuse (Photo de Sofia Becerra de CNC)

Monarde fistuleuse (Photo de Sofia Becerra de CNC)

Les plantes indigènes abritent un nombre beaucoup plus élevé d’insectes que les plantes horticoles exotiques traditionnelles, ce qui signifie que ce que nous plantons dans notre jardin a vraiment de l’importance! Personnellement, j’ai remarqué la présence d’un plus grand nombre d’insectes et de nombreux crapauds dans mon jardin. Ce qui attire naturellement plus d’oiseaux, comme le jaseur d’Amérique dans mes buissons et le colibri à gorge rubis que j’ai aperçus sur mes monardes. Je me sens particulièrement chanceuse que mon bureau à la maison soit orienté vers ce jardin, car il me permet de m’évader un peu du quotidien et me rappelle l’importance du travail que je fais dans le domaine de la conservation. En ces temps difficiles, voir ce jardin prendre vie a été pour moi une véritable bénédiction.

Établir un lien entre la nature et le lieu

En tant qu’immigrante, je me sens plus étroitement liée au territoire, lorsque j’apprends à connaître toutes les espèces qui y vivent, les plantes qui leur permettent de subsister ainsi que les voyages qu’elles ont effectués. Depuis quelques années, mon père, qui a grandi en aimant le plein air en tant que scout au Mexique, s’est remis à la randonnée. Il s’est joint à des groupes s’est rapproché de la nature locale lors de randonnées d’un jour et d’excursions de camping pendant le week-end. Il se sent non seulement beaucoup mieux mentalement, physiquement et spirituellement, mais il m’a aussi confié qu’il ressentait enfin un sentiment d’appartenance envers ce pays, après y avoir vécu pendant plus de 20 ans.

Abeille sur un agastache à feuilles de scrofulaire (Photo de Sofia Becerra de CNC)

Abeille sur un agastache à feuilles de scrofulaire (Photo de Sofia Becerra de CNC)

J’ai eu la chance de cultiver mon amour pour les excursions en canot dans l’arrière-pays, la randonnée et la nature au sein de certains des incroyables paysages que nous avons ici, en Ontario, et partout au pays. Cependant, je suis consciente que de nombreux immigrants n’ont pas toujours cette chance. De plus, beaucoup de personnes qui vivent dans les villes n’ont pas le luxe d’avoir une arrière-cour. La nature est souvent vue comme étant ailleurs, en dehors des villes. Il faut souvent des équipements coûteux et une voiture pour y accéder. Voilà pourquoi il est vraiment temps de redéfinir cette idée que nous avons de la nature.

La nature est là, tout autour de nous, résiliente et à la recherche d’espaces où s’épanouir. En plus de protéger des parcelles de terre reliées entre elles, à travers la province et le pays, on peut tous travailler ensemble pour reconstruire et relier les écosystèmes au sein de la ville, dans nos propres arrière-cours et dans nos parcs municipaux. Ainsi, nous établirons un lien et une relation plus solide avec ces terres et, avec un peu de chance, également avec les premiers intendants de ces terres.

Enfin, chacun doit se sentir le bienvenu dans la nature et les milieux sauvages. C’est à nous tous de faire tomber les barrières qui bloquent l’accès à la nature et de créer des espaces pouvant être appréciés par des personnes d’ethnies, d’âges, d’orientations sexuelles, de religions et d’identités différentes.

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