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Découvertes chez les champignons peu connus : excursion dans le monde des lichens

Opegrapha parmeliiperda, coupe transversale d’un organe de fructification montrant le développement de spores à l’intérieur de capsules; la couleur bleue résulte d’un traitement à l’hydroxyde de potassium suivi d’une solution de Lugol. (Photo reproduite avec l’autorisation de Kendra Driscoll)

Opegrapha parmeliiperda, coupe transversale d’un organe de fructification montrant le développement de spores à l’intérieur de capsules; la couleur bleue résulte d’un traitement à l’hydroxyde de potassium suivi d’une solution de Lugol. (Photo reproduite avec l’autorisation de Kendra Driscoll)

20 septembre 2021 | par Kendra Driscoll (bio en anglais)

Avant, je croyais que les scientifiques avaient des connaissances de base sur la majorité des êtres vivants présents sur Terre et que toutes les espèces animales et végétales avaient déjà été découvertes par des naturalistes comme Linné et Darwin. Je croyais aussi qu’il était encore possible de découvrir de nouvelles espèces dans les coins les plus reculés de la planète, mais que nous savions déjà tout sur celles des régions habitées d’Amérique du Nord.  

J’avais tort! Il s’avère que documenter toutes les espèces d’un écosystème est une tâche colossale que nous pourrions, littéralement, ne jamais mener à terme. Les nouvelles découvertes ne sont pas rares, même au sein de groupes d’espèces ayant fait l’objet d’études approfondies. Certains organismes ont reçu si peu d’attention que dans certaines régions, nous ne connaissons pratiquement rien à leur sujet.

Distribution map showing lichenicolous fungi in genus Opegrapha recently reported from New Brunswick. All were first records for the province. Opegrapha lamyi was reported for the first time in Canada. Opegrapha inconspicua and Opegrapha parmeliiperda were described as new to science. (Map courtesy of Kendra Driscoll)

Carte de distribution des champignons lichénicoles (qui vivent ou se nourrissent sur les lichens) du genre Opegrapha récemment signalés au Nouveau-Brunswick. Tous ont été répertoriés pour la première fois dans la province. L’opegrapha lamyi a été signalé pour la première fois au Canada. Opegrapha inconspicua et Opegrapha parmeliiperda ont été décrits comme étant de nouvelles découvertes scientifiques. (Cliquez pour agrandir)

J’ai commencé à étudier les lichens sous la supervision de Stephen Clayden au Musée du Nouveau-Brunswick (MNB) et je suis immédiatement tombée sous leur charme. Ces organismes symbiotiques allient un champignon à au moins une algue ou une cyanobactérie, capable d’exploiter la puissance du soleil pour se nourrir. Les lichens se présentent sous de nombreuses formes et couleurs et vivent un peu partout, dans les jungles et même sur les rochers dénudés de l’Antarctique. Comme ils sont peu étudiés et que de nombreuses espèces sont de petite taille, rares ou difficiles à identifier, ils sont souvent négligés. Essentiellement, il y a encore beaucoup à découvrir à leur sujet. Mes deux premières années de recherche sur les lichens ont pris l’allure d’une chasse au trésor!   

Rapidement, j’ai appris que de nombreux lichens servent aussi d’hôtes à des parasites fongiques connus sous le nom de champignons lichénicoles. Ces ingénieux petits champignons varient aussi beaucoup en ce qui a trait à leur apparence et à leur mode de vie. Certains vont jusqu’à tuer le lichen qui les abrite, alors que d’autres sont plutôt inoffensifs. Certains s’apparentent étroitement aux lichens, d’autres aux champignons. D’autres sont spécialisés à un point tel qu’ils ne peuvent vivre que sur une seule espèce de lichen. Si les lichens étaient méconnus, ces champignons eux, avaient à peine été étudiés!

En 2007, seulement 7 espèces de champignons lichénicoles du Nouveau-Brunswick avaient été mentionnées dans la documentation scientifique, alors que nous savions pertinemment qu’il devait en exister une plus grande diversité. En 2011, nous avions réuni une équipe de recherche internationale disposée à partager ses données pour produire une liste de vérification et un guide d’identification pour le Canada atlantique. Jusqu’à présent, ce projet ambitieux compte 228 espèces répertoriées, dont 161 au Nouveau-Brunswick (soit 22 fois plus d’espèces en 14 ans)!

La liste de vérification est en constante évolution, puisque de nouvelles espèces s’y ajoutent chaque année. Entre-temps, plusieurs découvertes intéressantes ont été signalées, dont de nouvelles espèces et d’autres jamais répertoriées auparavant en Amérique du Nord.

Parmélie à sillons (lichen) en santé (Photo reproduite avec l’autorisation de Kendra Driscoll)

Parmélie à sillons (lichen) en santé (Photo reproduite avec l’autorisation de Kendra Driscoll)

La percée la plus récente a été un article publié cette année dans The Bryologist. Stephen et moi avons fait équipe avec Damien Ertz du Jardin botanique de Meise en Belgique pour signaler la présence de cinq champignons lichénicoles du genre Opegrapha pour la première fois au Nouveau-Brunswick, dont deux encore inconnus de la science! À ce jour, ces derniers se trouvent uniquement au Nouveau-Brunswick. Toutefois, les espèces de lichens qu’ils infectent sont répandues dans tout l’hémisphère Nord, il est donc probable qu’on les retrouve dans d’autres régions de l’Amérique du Nord ou même sur un autre continent! Par contre, d’autres facteurs pourraient influencer leur distribution. Le discret Opegrapha inconspicua - qui doit son nom à sa petite taille - a été découvert sur un lichen incrusté à un rocher dans un seul site de la zone naturelle protégée de la gorge de la rivière Jacquet lors du BiotaNB, le relevé annuel de biodiversité mené par le MNB. 

Opegrapha parmeliiperda, une nouvelle espèce décrite comme poussant sur des parmélies à sillons (lichens) dans des forêts marécageuses peuplées de thuya occidental au Nouveau-Brunswick (Photo reproduite avec l’autorisation de Kendra Driscoll)

Opegrapha parmeliiperda, une nouvelle espèce décrite comme poussant sur des parmélies à sillons (lichens) dans des forêts marécageuses peuplées de thuya occidental au Nouveau-Brunswick (Photo reproduite avec l’autorisation de Kendra Driscoll)

L’Opegrapha parmeliiperda, dont le nom signifie « destructeur de parmélie », a été trouvé dans quatre sites de la province, infectant et tuant potentiellement des lichens gris du genre Parmelia, souvent appelés parmélies à sillons. Les lichens hôtes de cette deuxième espèce sont communs et répandus, mais la présence du champignon semble jusqu’à présent limitée aux forêts marécageuses peuplées de thuya occidental, un habitat exceptionnellement riche en lichens.

Il est évident qu’apprendre à connaître les espèces qui nous entourent est fondamental pour mieux comprendre le fonctionnement des écosystèmes. Alors que nous tentons de faire face à la crise environnementale mondiale, je suis convaincue de la nécessité de la recherche sur la biodiversité et qu’elle n’a jamais été aussi urgente. Nous avons tant à apprendre, et tant à perdre.

Lien d’intérêt (en anglais)

Two New Lichenicolous Species of Opegrapha (Arthoniales) from Canada

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