West Head : le sanctuaire naturel d’une collectivité
Jane Alexander pratique l'observation d'oiseaux, West Head, N.-É. (Photo Doug van Hemessen/NCC staff)
Une petite péninsule, nommée West Head, s’avance sur Côte Sud de la Nouvelle-Écosse.
Des vents puissants soufflent sur ses champs et des vagues déferlent contre son rivage rocheux. Des sentiers serpentent à travers la péninsule et longent ses abords. Autrefois utilisée par des bovins et des moutons, elle est aujourd’hui fréquentée par des personnes qui cherchent à se connecter à la nature et à leurs souvenirs les plus précieux. Grâce à Jane Alexander, qui habite la région, ce précieux coin de nature est désormais protégé par Conservation de la nature Canada (CNC).
Mme Alexander, une actrice récipiendaire d’un Tony et d’un Emmy, est connue surtout pour ses rôles dans The Great White Hope, All the President’s Men et Eleanor and Franklin, pour ne citer ces œuvres. En dehors de sa brillante carrière professionnelle, elle a siégé aux conseils d’administration et aux comités de nombreux organismes voués à la conservation de la nature, dont Audubon, la Wildlife Conservation Society et BirdLife International.
Elle est depuis toujours fascinée par le monde naturel. Pendant son enfance à Boston (Mass.), elle grimpait aux arbres et soulevait leurs écorces pour y observer les minuscules insectes qui y vivaient. Son dévouement envers la conservation de la nature est né au début de sa vie d’adulte, quand elle a déménagé dans une région rurale de l’État de New York, aux États-Unis. Près de la maison où elle vivait avec son mari, elle a compris la joie que procure l’observation des oiseaux. Deux ans plus tard, elle a réalisé que les mêmes oiseaux revenaient chaque année au même endroit dans son arrière-cour.
« Je pense que c’est à ce moment que le déclic s’est fait, dit-elle. J’ai donc décidé de passer à l’action. » C’est à partir de ce moment-là qu’elle s'est vouée à la conservation de la nature, dans l’espoir de contribuer à la protection de l’habitat d’oiseaux migrateurs et de bien d’autres espèces.
Il y a près de 30 ans, Jane et son mari ont déménagé en Nouvelle-Écosse, où elle se souvient avoir rendu visite à la famille de sa mère quand elle était plus jeune. Ils ont acheté une maison sur la péninsule de West Head et sont instantanément tombés sous le charme de ce paysage à couper le souffle. Jane faisait de longues balades sur les sentiers et observait chaque été une famille de bécasseaux se régalant de camarines poussant sur les landes côtières.
Elle a aussitôt pris conscience de la valeur écologique de la région et a su que ce magnifique territoire devait être protégé. Ce qu’elle a vite compris, c’est que la région était bien plus qu’un habitat vital pour les oiseaux migrateurs. En effet, West Head revêt aussi une grande importance dans l’histoire de la communauté de pêcheurs de Lockeport, située à proximité. Traditionnellement, la communauté se rassemblait en bordure de la péninsule pour assister au départ en mer des membres de leur famille. Ce vaste paysage a donc été le théâtre de centaines de récits.
Edsel Roache ("The Skippe") à bord du Bluenose II, N.-É. (Photo reproduite avec la permission de Cindy Roache)
Celui d’Edsel Roache a commencé bien avant que Jane ne vienne s’installer à West Head. Edsel, que l’on surnommait « The Skipper », est issu d’une famille de pêcheurs dont la subsistance dépendait des richesses de la mer. Jusqu’à l’âge de quatre ans, il a vécu sur cette péninsule venteuse dans une maison partagée avec une autre famille. Lorsqu’ils ont déménagé à Lockeport, sa famille comptait parmi les dernières à quitter West Head. Ses grands-parents et arrière-grands-parents vivaient dans une autre maison, située plus près de l’extrémité de la péninsule.
« Si vous vous rendez sur place, vous pourrez voir l’empreinte qu’a laissée la maison, aujourd’hui détruite, sur le sol », explique Edsel. Ce petit bout de terre a été baptisé Roache’s Cove en l’honneur de sa famille.
En 2001, Jonathan, le fils d’Edsel, est décédé dans un tragique accident de pêche. Ils aimaient passer leurs journées ensemble sur les landes herbeuses et Edsel continue à ressentir une profonde connexion avec son fils lorsqu’il s’y aventure. Chaque jour, s’il le peut, il emprunte le chemin qui mène à West Head. Sur place, il respire l’air frais de l’océan, et éprouve un sentiment de paix et d’appartenance qu’il n’a jamais ressenti ailleurs. Selon lui, « C’est un petit coin de paradis ».
Courlis corlieu (Photo Bill Crosby)
Bill Crosby, photographe de la nature, se rend lui aussi dans les landes herbeuses plusieurs fois par semaine. Bien qu’il ait grandi à Lockeport, ce n’est qu’à l’âge adulte qu’il a développé son lien avec West Head.
« C’est seulement quand j’ai décidé de m’équiper d’un appareil photo, il y a 12 ou 13 ans, que mon amour pour West Head est vraiment né », raconte-t-il.
Bill passe d’innombrables heures sur cet affleurement exposé au froid et au vent, à attendre le moment opportun pour prendre des photos des différentes espèces qui fréquentent l’endroit. On peut y apercevoir des oiseaux de proie, comme le busard Saint-Martin, la buse à queue rousse et le faucon pèlerin, en train de voler haut dans le ciel. Des océanites minute y nichent dans le sol et des arlequins plongeurs, une espèce menacée à l’échelle provinciale, passent l’hiver le long du rivage rocailleux.
Harfang des neiges, N.-É. (Photo Bill Crosby)
Par une froide journée d’hiver, alors que Bill était sorti avec son appareil photo, il s’est réfugié à l’abri du vent sur le versant d’une colline. Quelle ne fut pas sa surprise de constater qu’un harfang des neiges était posé sur le sol à quelques mètres de lui, sans être dérangé par sa présence. Bill pense que cet oiseau l’avait déjà vu à West Head et qu’il avait compris qu’il était en sécurité à ses côtés.
« Il m’a vu cinq jours par semaine pendant deux mois, dit-il. C’est comme s’il me connaissait. »
Il y a de toute évidence quelque chose de très spécial dans ce petit coin de la Nouvelle-Écosse, qui est apprécié tant par les humains que par les espèces sauvages. Lorsqu’ils ont emménagé à West Head, Jane et son mari ont été étonnés d’apprendre que cette péninsule n’était pas encore protégée. Ils avaient depuis de nombreuses années l’intention d’acheter ces terres pour les rendre à la collectivité.
En 2022, quelques années après le décès de son mari, Jane a finalement réussi à retrouver le propriétaire de West Head et à en faire l’acquisition. Elle a fait don de ces terres à CNC grâce à American Friends of Canadian Nature, un organisme américain qui soutient la conservation de milieux naturels au Canada. La réserve naturelle West Head a ensuite été officiellement créée en 2024. La collectivité de Lockeport a été enchantée par cette nouvelle.
« Jane Alexander ne saura jamais ce qu’elle a fait pour moi en veillant à ce que ces terres soient protégées », affirme Edsel. Bill et lui comptent au nombre des dizaines de personnes des environs qui vouent une reconnaissance éternelle à Jane pour son geste. Ils continueront, tout comme leurs enfants et petits-enfants, à créer des souvenirs sur cette terre qu'ils considèrent comme chez eux.