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Brûlages dirigés

Brûlage dirigé (Photo de Chelsea Marcantonio/CNC)

Brûlage dirigé (Photo de Chelsea Marcantonio/CNC)

PAR Susan Peters, auteure et éditrice

Debout devant les flammes, avecleurspelles et leurs extincteurs dorsaux, les membres de l’équipe de brûlage examinent le feu qu’ils ont allumé, prêts à éteindre les braises égarées. « C’est un travail amusant, surtout quand c’est un brûlage ‘‘ennuyant’’ » déclare Julie Sveinson Pelc, la chef des interventions qui supervise le feu. « ‘‘Ennuyant’’ veut dire que les choses se déroulent exactement comme prévu et que nous res-tons sur place pour regarder le feu brûler », explique-t-elle. En entrevue, au plus fort de l’hiver et pendant une hausse des cas de COVID-19, elle me montre des photos d’un brûlage dirigé de sep-tembre dernier à la réserve des prairies à herbes hautes dans le sud-est du Manitoba, où les graminées qui brûlent dégagent selon elle une odeur qui rappelle celle de certaines huiles essentielles.

Bien que la suppression des incendies fasse partie de l’histoire récente de l’Amérique du Nord, le feu y a été utilisé pour aména-ger le territoire pendant des milliers d’années avant la colonisation européenne. Le personnel de Conservation de la nature Canada (CNC) a redonné au feu sa place et effectue depuis plusieursdécennies des brûlages dirigés dans une optique de gestion des terres protégées, et ce, en Colombie-Britannique, en Saskatche-wan, au Manitoba, et même dans les prairies ontariennes. Dans les prairies plus particulièrement, les espèces végétales et ani-males aujourd’hui présentes (que nous souhaitons aussi garder dans l’avenir), se sont adaptées pour prospérer dans un écosys-tème soumis à des perturbations régulières, comme le pâturage, les feux, les inondations et la sécheresse.

Forte de 20 ans d’expérience en matière de brûlage dirigé, Julie Sveinson Pelc, qui gère le programme d’intendance de CNC au Manitoba, est bien placée pour vanter les mérites d’un brûlage de surface léger par rapport à un incendie de forte intensité : « Le brûlage peut faire entrer les arbres en ébullition; on peut voir leurs fluides bouillonner. »

Le feu déclenché dans la réserve des prairies à herbes hautes avait pour but d’aider à la restauration en cours de 20 hectares constituant un habitat de prédilection pour le papillon monarque, une espèce en voie de disparition. Il a permis d’éliminer les saules et les autres arbustes ligneux qui poussaient parmi les graminées et qui, s’ils n’avaient pas été maîtrisés, auraient transformé ce vaste terrain ouvert en une forêt de trembles et de chênes à gros fruits. Les feux brûlent les herbes séchées et les feuilles mortes, et leurs nutriments sont alors restitués au sol, laissant le terrain ouvert pour que la pluie puisse s’y infiltrer. Le brûlage de cette zone précédemment ensemencée favorisera la croissance de plantes dont les chenilles et les adultes du papillon monarque dépendent.

Ces feux allumés intentionnellement et contrôlés par des spécialistes, dans une zone prédéterminée et dans des conditions étroite-ment surveillées, sont faits dans le seul but de restaurer un habitat naturel — un autre type de brûlage est effectué en agriculture pour brûler les tiges (ou chaumes) de certaines graminées après la récolte. La planification d’un brûlage dirigé re-quiert la consultation d’un plan de rétablis-sement, de gestion et de recherche visant les espèces multiples en péril (Multi-SAR) pour orienter la prise de décisions. On détermine alors une période durant laquelle le brûlage serait favorable à la survie d’espèces don-nées, comme la platanthère blanchâtre (une orchidée) ou l’hespérie de Poweshiek (un papillon), qui sont deux espèces en voie de disparition. Lors de la planification, il faut évaluer la sécheresse du sol, l’humidité rela-tive, le vent et la température, obtenir des permis de brûlage auprès de la municipalité ou de la province concernée et sensibiliser les services d’incendie et les personnes demeurant à proximité, qui pourraient craindre qu’un incendie incontrôlé ne détruise leur maison ou leur ranch.

Supervision des brûlages, Plaines du lac Rice, Ont. (Photo de Chelsea Marcantonio/CNC)

Supervision des brûlages, Plaines du lac Rice, Ont. (Photo de Chelsea Marcantonio/CNC)

Lorsque CNC entreprend des brûlages dirigés, c’est généralement dans l’objectif de réduire l’accumulation au sol de litière vé-gétale et d’empêcher les espèces ligneuses d’envahir une prairie ou une zone herbeuse, comme c’est le cas dans la réserve des prai-ries à herbes hautes (bien qu’on prévoie éga-lement d’utiliser le feu dans le but de dégager le sous-bois de certaines forêts ouvertes, comme celles de l’aire de conservation de Darkwoods, en Colombie-Britannique).

Partout en Amérique du Nord, les brûlages dirigés sont gérés par les services des parcs fédéraux et provinciaux, les communautés autochtones et les municipalités, notamment pour prévenir les feux de forêt incontrôlables. « Lorsque la charge de combustible s’accu-mule, les feux peuvent dégager davantage de chaleur et couvrir de plus grandes surfaces, ce qui peut être dévastateur. Parfois, des feux sont allumés dans l’objectif de diminuer les risques d’incendies catastrophiques, afin d’as-surer la sécurité du public », explique Sam Knight, biologiste de la conservation respon-sable du programme scientifique de la famille Weston ainsi que du programme national de recherche en conservation de CNC. « Beau-coup d’écosystèmes sont adaptés au feu et leur maintien dépend de perturbations, comme le pâturage et le feu. »

Flammes sous contrôle

Au Manitoba, lors du brûlage dirigé de septembre dernier, une équipe de 10 personnes a pulvérisé de l’eau le long de la ligne d’arrêt d’une large superficie tondue en guise de coupe-feu. L’équipe a ensuite utilisé des lance-flammes à action localisée conçus spé-cialement pour allumer le feu le long de la ligne d’arrêt, créant ainsi une triple barrière de défense contre un incendie qui aurait pu autrement échapper à leur contrôle. « Les gens aiment se vanter du fait que leurs lignes d’arrêt sont très droites », raconte Mme Pelc en haussant les épaules. Elle se dit toutefois fière de la façon dont travaille son équipe formée de nouveaux employé(e)s de CNC et d’autres plus expérimenté(e)s. Avec leurs bottes, gants en cuir, combinaisons ignifuges, masques et lunettes de sécurité, tous coopèrent sans hâte, se déplaçant lentement afin de compléter la ligne d’arrêt, avant que la tête du feu se propage de manière spectaculaire, poussée par le vent, vers le centre du secteur visé.

Cet article est tiré du numéro Printemps 2022 du Magazine Conservation de la nature Canada. Cliquez ici pour savoir comment recevoir notre magazine.

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